Tratto da: "Bozza di un libro mai scritto sulla Bassa Casamance" di Julitte Diagne Cisse e Anne Piette.
Comment Edioungou est devenu un village de potières
Le chef du village, Kayoma Bassène, s’exprime ainsi : «Ce que mes parents m’ont raconté : autrefois les jeunes filles n’allaient pas vers les villes pour chercher du travail. Elles traversaient la frontière de la Guinée Bissau, alors occupée par les Portugais et se faisaient engager pour protéger le riz de montagne contre les oiseaux granivores ; elles ne recevaient pas de salaire, l’argent était inconnu à l’époque dans les villages, mais après la récolte on leur remettait du riz qu’elles stockaient en vue de leur mariage.
C’est au cours de ces migrations saisonnières qu’elles découvrirent le village d’Eliha qui faisait de la poterie. De retour à Edioungou les plus habiles commencèrent à imiter ce qu’elles avaient vu. Elles utilisèrent les coquillages qu’elles trouvaient sur place et qui étaient différents de ceux utilisés de l’autre côté de la frontière mais qui convenaient tout aussi bien. Pour la cuisson elles choisirent les feuilles de palmiers et de rôniers de préférence aux feuilles de bananiers, qui rendaient la poterie plus solide.
Bientôt elles produisirent assez de canaris et d’autres pièces pour aller les troquer dans tous les villages environnants et elles cessèrent d’émigrer en saison sèche pour aller surveiller les oiseaux en Guinée, elles s’adonnèrent à fond à leur nouvelle occupation, tout comme les jeunes filles du village adjacent, Djivente, ainsi serait née la poterie dans ces deux villages qui, jusqu’à nos jours sont les seuls du département à en fabriquer ».
Seyni Camara raconte
Seyni Camara n’est pas d’Edioungou. Elle n’est pas authentiquement diola non plus puisque son père était un Mandingue de la région d’Oussouye, toutefois on ne saurait parler des femmes casamançaises sans lui dédier une attention spéciale tant elle est un phénomène unique en son genre, personnage fabuleux, impressionnant. Génie méconnu, Seyni Camara est potière. Cependant ce terme est bien faible pour désigner cette «sculptrice de terre» dont les œuvres semblent tenir de la magie, du surnaturel, qui déclare naïvement que Dieu lui a donné un pouvoir, qu’elle n’utilise pas contre les humains mais qu’elle détourne dans ses œuvres.
"Devais avoir environ 12 ans lorsque mon père m'a donnée en mariage à un homme beaucoup plus âgé que moi. Ma mère n'a pas pu s'y opposer, c'était mon père qui décidait. Il n'était pas diola. Chez lui ce n'est pas comme chez les Diolas, ce sont les hommes qui décident de tout; pourtant nous vivions à Oussouye [en pays diola]. C'était atroce, j'ai été forcée, forcée, forcée."
"J'ai eu trois grossesses, à chaque fois par césarienne. Deux des enfants sont morts. Mon mari était si méchant que je me suis sauvée. J'avais emmené mon fils mais on est venu le reprendre. Moi, on n'a pas réussi à me faire repartir là-bas. Je n'ai revu mon fils que beaucoup plus tard, il était déjà presque un homme. Maintenant il vit dans un village du département de Sédhiou. Je suis restée longtemps chez ma maman, des années, j'étais malade."
"Beaucoup d'hommes voulaient m'épouser, j'ai toujours refusé, je continuais à être malade. Puis Diallo est venu, il était guérisseur, il m'a soignée et il a voulu m'épouser. J'ai accepté, jusqu'à présent je ne sais pas pourquoi j'ai accepté !".
"Aussitôt après il a pris une deuxième épouse qui a eu trois enfants. L'un est décédé. Cette femme était jalouse, elle m'a jeté des sorts. Moi, je ne veux faire de mal à personne mais j'ai les moyens de me défendre. Je me suis défendue. L'autre est partie avec un des enfants mais elle en a laissé un. C'est moi qui ai dû m'en occuper, j'ai dû tout faire, tout le travail était pour moi, marché, cuisine, ménage, linge. En plus j'ai été opérée."
"Ensuite il a pris une troisième [épouse]. Mais celle-là, ses sœurs lui ont dit: Tu dois la respecter ! Elle est bien, elle fait le travail. Elle a eu une petite fille qu'elle a appelée Seyni. J'aime la petite Seyni. Je ne suis sortie que deux fois [de cette région], une fois un Européen m'a emmenée à Dakar pour une exposition et une autre fois je suis allée à Kaoloack. J'ai toujours fait de la poterie".
"Au début je ne
faisais que des femmes enceintes. D’autres femmes ont essayé aussi mais
personne n’a réussi. Pour faire une pièce comme celle que tu vois là, je
travaille une dizaine de jours. Je commence par faire la tête. Je couvre tous
les soirs pour que ça ne sèche pas. J'achète de grandes feuilles de plastique.
Puis je mets la tête de côté et je commence le corps. Si les statues sont
petites je les fais en une seule pièce. Si le corps a des enfants je fais les
enfants à part puis je les colle. Je colle la tête, la tête est lourde. Il faut
faire attention quand on soulève. La nuit je vois ce que je dois faire pendant
le jour ".
Ce sont des rêves ?
"Non, je vois. J’ai les yeux grands ouverts, je ne dors pas. C’est Dieu qui m’a fait ce don. Une année je fais une chose, l’année suivante autre chose. Je ne peux pas faire deux fois la même chose. Même mon mari ne comprend pas ce que c’est que ce don. Je pourrais l’utiliser pour faire du mal si on me faisait du mal. Mais je le détourne sur ces oeuvres. J’essaie de ne pas offenser les gens mais si on m’offense j’ai les moyens de réagir."
"Je peux laisser ma table seule avec tous
les objets. Si quelqu’un prend quelque chose il revient avec l’objet volé pour
avouer qu’il a volé. Un garçon qui ne me connaissait pas avait volé un carton
plein de tortues, chiens et autres animaux que je venais de terminer. Le car
rapide dans lequel il se trouvait a eu un accident. Il est décédé, lui seul, de
tous les passagers." "Ce n’est pas moi qui l’ai tué. Le papa est venu avec 50 000
francs car on lui avait dit que s’il ne venait pas demander pardon le sort
risquait de poursuivre d’autres membres de la famille. Je n’ai pas voulu
prendre l’argent car ce n’était pas moi qui l’avais tué.Je lui ai dit de
donner cet argent en charité, ce qu’il a fait."
"Une autre fois on m’avait volé des petites poteries, des petits pots à encens et autres. Le voleur est revenu les rendre avec une main enflée. Il y a un sort, je n’aime pas en parler. Si tu n’étais pas avec ma cousine, je ne te dirais rien de tout cela. Ce n’est pas bon d’en parler ".
Aïssatou
Dieng, née à Djivente, la maman de Seyni
Camara, environ 80 ans,
en 1996 parle de sa fille
« Je suis née à Djivente. Comme Edioungou Djivente est traditionnellement un village de potières. Toutes les femmes de ma génération étaient potières. Après mon mariage avec un Mandingue j’ai continué à faire de la poterie.
En 1942 j’ai eu des triplés, deux garçons et une fille, Seyni. J’avais déjà une fille. Un des garçons est décédé. Seyni et son frère Alassane ont vécu. Je suis ensuite restée trois ans sans enfants puis j’ai encore eu deux fois des triplés et aucun n’a vécu.
Seyni était une enfant très calme qui ne posait pas de problèmes. On s’est très vite rendu compte qu’elle était très habile. Elle n'est pas allée à l'école, son frère non plus. Je les avais inscrits tous deux mais leur père a refusé. Il est même allé trouver l'instituteur pour lui interdire de prendre les enfants. Il ne voyait pas l'utilité de l'école.
Elle faisait de la broderie. Un jour son frère lui a dit qu’il avait vu en rêve ce qu’ils pourraient faire pour vivre. Et il a commencé à lui raconter ses rêves. Un jour Seyni lui a dit qu’elle aussi, elle avait vu la même chose et qu’elle pouvait le faire. Elle m’a demandé de l’argile mais j’ai refusé. Elle est allée en prendre en mon absence. En cachette elle a fait des personnages. Elle me les a montrés. J’ai été très surprise, j’avais cru qu’elle voulait de l’argile pour faire des canaris.
Entre-temps son frère, qui était apprenti chauffeur, est revenu à la maison et a remarqué ce que faisait sa soeur. A son tour il a fait, en cachette, des figures. Seyni trouvait que ce que faisait son frère était mieux que ce qu’elle faisait, elle.
Un jour ils ont su que le Président de la République allait décerner le prix du meilleur artisan. Alassane, dans sa cachette a fait un lion. Seyni a fait le couple Senghor en train de danser. Quand tout a été prêt ils m’ont demandé de les faire cuire. Le jour du Grand Prix du Président de la République toute la ville (Dakar) a admiré la sculpture. Tous deux ont remporté le Grand Prix.
Par la suite, Alassane, qui était malade, est parti vers le Mali. Actuellement il vit à Louga. Il ne fait plus de poterie. Il ne vient jamais nous voir. Seyni est tombée dans l’oubli mais depuis quelques années des Européens s’intéressent à ce qu’elle fait et même des Américains. »
Tratto da Michèle Odeye-Finzi Solitude d'Argile. Légende autour d'une vie.
Seyni-Awa Camara’s
sculptures book, 1994, Paris, L'Harmattan.
SEYNI
"C’est un hommage à cette poésie étrange qui se dégage de l’oeuvre de Seyni.
C’est sans doute aussi un remerciement au trouble, à l’émotion qui traverse encore cette rencontre.
Au sud du Sénégal, séparée par la Gambie la Casamance. Une petite ville Bignona. A la limite de la forêt, loin du centre la maison de Seyni, une grande case au toit de tôle et une cour où se déroule la vie familiale.
Seyni, potière, travaille dans une vaste pièce envahie de tous ses personnages.
Elle a entre 45 et 50 ans (1993 ndr), elle est d’origine mandingue - les Mandingues, ancêtres venus du Mali s’établir ici au XIVème siècle, en plein coeur du pays diola, pour introduire l’Islam dans cette région animiste.
La poterie est un métier de femme, mais son mari l’assiste en allant chercher l’argile aux marigots des alentours de Bignona. Il l’aide aussi en malaxant la matière avec ses pieds, devant la case, jusqu’à ce qu’elle soit suffisamment malléable.
La plupart du temps, c’est lui qui parle. Seyni ne s’exprime que très rarement et toujours en dehors de la présence de son mari. Beaucoup de rumeurs entourent la vie de cette femme, ses origines, ses mariages, ses enfantements incertains. Il faudra du temps, une longue approche pour qu’elle accepte de me raconter sa vie au travers de ses poteries.
Une petite tortue, une grenouille en terre cuite, rugueuse, au milieu de casseroles en fonte sur le sol d’un petit marché au sud du Sénégal. Une petite vendeuse: Seyni."
LES AUTRES
"Les gens qui viennent ici me rendent souvent malade. Pourtant, il faut qu’ils viennent, sinon je ne pourrai plus travailler. Qu’est-ce que je ferais de toutes mes poteries, et comment j’aurais l’argent pour les sacrifices à ma corne? Dans toute la Casamance, je suis la seule à faire ce travail. Ailleurs, je ne sais pas, je n’ai jamais voyagé. Tout le monde peut voir que c’est Dieu qui m’inspire."
MON TRAVAIL, MA SOLITUDE
"Ce lion est très gros, il mesure presque un mètre, j’ai mis vingt-deux jours pour le faire. J’ai du tuer une chèvre et un poulet pour qu’il tienne debout. Avant, je les faisais plus petits, les gens achètent plus facilement si c’est petit.Je ne fais jamais la même poterie plusieurs fois. Ce qui me fatigue le plus, ce sont les femmes. Ce “métier des dix têtes”, c’est Dieu qui me montre pour que je .puisse manger. Mais cela me fatigue beaucoup.
Ma tête s’en va. Je suis seule. Au début, je mettais vingt-et-un jours pour faire une statue. Il faut beaucoup regarder pour qu’elles tiennent debout. Avant,je faisais surtout des vieilles femmes, des femmes enceintes avec beaucoup d’enfants dans les bras, dans le dos, partout. Souvent, je fais des statues qui se mélangent, le haut peut être une vieille, plus bas une jeune fille enceinte, des enfants accrochés tout autour, c’est un peu la suite, l’ancêtre puis ceux qui en descendent.
Il faut du temps pour que tout tienne debout. Je suis fatiguée. J‘aime bien faire des animaux. J‘ai l’impression qu’ils font moins peur aux gens. Le cheval, Efihidiébé, je ne l’ai fait qu’une fois. C‘était difficile, je suis restée quinze jours et j’ai donné quatre mille cinqcents francs CFA, les grenouilles ont toutes les tailles, je fais de vraies familles. Le cochon, Efrougoum, a mis cinq jours à rester debout.
J’ai payé mille francs CFA, je ne sais pas pourquoi la corne voulait voir un porc, c’est interdit pour les musulmans. J’en ai fait de plus petits. Mes poteries sont lourdes, alors je les vide le plus possible et je fais un trou. Cela fait comme en réalité et cela n’éclate pas quand ça cuit. Je suis restée quinze jours et j’ai donné quatre mille cinq cents francs CFA, sinon les statues ne restent pas debout. Ce singe fait très peur. À un moment, j’avais vraiment besoin de faire cet animal. J’en ai fait beaucoup, ils ne me plaisaient jamais assez. Celui-là est gros."